Je me souviendrai

FRED JOURDAIN & MARTIN PARROT :

UNE DISCUSSION


Je me souviendrai

FRED JOURDAIN & MARTIN PARROT :

UNE DISCUSSION

En feuilletant les pages illustrées par Fred dans Je Me Souviendrai, une chose saute aux yeux: les images sont franches, percutantes. Si le ton est plus engagé qu'à l'habitude, il y a aussi une continuité avec ses autres projets. Les personnages incarnent ici de grandes idées et comme c'est souvent le cas dans les histoires qu'il raconte, ils se mesurent à un monde qui les fera vraisemblablement grandir. La différence ici, c'est la violence de la rencontre. L'environnement dans ces illustrations n'est pas un autre protagoniste, mais bien une force négative qui veille activement au malheur des personnages mis en scènes.

 

Je me souviendrai, c'est un projet sur le Printemps érable, comment as-tu vécu cette période à l'époque ?

 

Effectivement, c'est un collectif lancé dans la foulée des manifestations étudiantes de 2012 par André Kadi.

 

Ça bardait déjà pas mal à Montréal lorsque ça a commencé à s'enflammer aussi à Québec, devant l'Assemblée nationale, après que des négociations aient été rompues entre le gouvernement et les principaux leaders étudiants.
 
 

Au même moment, André a pris l'initiative de monter dans l'urgence un collectif dans le but de faire publier ce qui allait devenir Je me souviendrai, sorte de document éclectique sur les événements du Printemps érable vu par une panoplie d'artistes sous forme de textes, d'illustrations, de photographies et de bandes dessinées… André avait déjà fait de la BD avec la Boîte à Bulles en France et ceux-ci souhaitaient faire quelque chose sur le Printemps érable. Il m'a invité à y participer.

 

J'ai hésité un peu au début… J'ai toujours admiré les artistes comme John Lennon et Roger Waters, des gars qui prennent position sur des enjeux sociaux qui leur tiennent à cœur, mais je voulais trouver le bon angle pour aborder ce sujet-là.

 

Quand l'idée de La Vigile m'est venue, je me suis lancé et tout le reste, les illustrations, les affiches et la section roman graphique, tout ça s'est enchaîné comme une traînée de poudre.
 

Le livre s'est fait en 2 semaines !

 

J'ai illustré une trentaine de pages du recueil, dont vingt-quatre pour soutenir graphiquement N'a plus sommeil qui veut, un texte composé par mon ami Simon Brousseau à qui j'avais demandé d'écrire quelque chose que je pourrais illustrer. Tous les auteurs ont accepté de remettre leurs redevances à Amnistie internationale et à l'ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante).

 

Je trouve ça drôle que le bouquin ait été édité en France et non pas au Québec, comme si de là-bas, c'était évident qu'il fallait laisser une sorte de trace et de témoignage de ce qui se vivait ici.
 

Comment t'inspirais-tu pour tes illustrations ?

 

Au départ, je me suis inspiré de la Statue de la Liberté. C'est un symbole fort que j'ai toujours apprécié depuis que je suis enfant. Je me suis retrouvé au pied de cette statue à l'âge de 14 ans et c'est une des plus belles choses que j'ai vues de ma vie.

 

Au fil des croquis, ça m'a amené vers cette idée de la jeune femme, la vigile qui veille au-dessus de la mêlée sur les épaules de la Justice, l'image allégorique de la force morale qui sous-tend le système légal avec son glaive, sa balance et ses yeux bandés qui symbolisent l'impartialité.

 

Certaines de mes illustrations, comme l'emmerdeuse et l'affiche avec le slogan « Médias achetés, Médias à jeter ! » découlent directement de mes recherches sur Mai 68. J'y vois d'ailleurs un gros parallèle avec le Printemps érable.

 

D'autres événements sociaux ou politiques t'ont touché de la sorte ?

 

À 17 ans, j'étais au Sommet des Amériques. C'est brutal de se rendre compte de l'ampleur du dispositif de contrôle mis en place autour des rencontres et discussions de chefs d'État et de grands décideurs.

 

À Québec, les manifestants anti ZLEA qui, pour la plupart, ressemblaient d'avantages à des hippies qu'à des guérilleros, ont souvent été reçus comme des criminels par les forces de l'ordre… Ma première toile à vie a été fortement inspirée par ce que j'ai vu en me rendant là-bas et ça a laissé une marque sur mes créations dans les années qui ont suivi.
 

Ça s'est éclipsé en partie après ça… en tout cas, il y a eu un changement de ton, un shift vers la nuance et une emphase sur l'émancipation plus que sur l'idée de dépeindre les actions violentes. Critiquer pour critiquer, ça finit par être essoufflant. Je préfère essayer de construire, dans le sens de proposer, d'inspirer. C'est ce que j'ai essayé de faire avec ce projet.

Referais-tu un tel projet ?

 

Je pense que je ne pouvais pas passer à côté à ce moment-là. Les protestations contre la guerre au Vietnam, Mai 68 en France et le Printemps érable sont des événements marquants pour une société. Plusieurs personnes étaient cyniques il y a quelques années : « les jeunes ont tous des cellulaires, ils sont individualistes, déconnectés, etc. … » et bien certes, ils ont des cellulaires, mais ils sont conscientisés. Le Printemps érable, ça a donné le goût à l'action politique à plusieurs québécois, surtout les jeunes.

 

On va se rappeler longtemps de cette période et Je me souviendrai est un document d'archives très intéressant en ce sens.
 

Il y a une phrase que j'aime bien dans le texte de Brousseau, elle m'a fait rire quand je l'ai relu récemment, mais en même temps, c'est très sérieux et ceux qui auront vécu tout ça dans la rue se souviendront du sentiment qui planait à l'époque :

 

« On était dix milles. J'espère juste que demain on sera plus nombreux… Ils peuvent pas tous nous crisser en prison. Ils peuvent quand même pas tous nous tuer tabarnak »

 

Consultez l’intégral de: N’a Plus Sommeil Qui Veut.

CRÉDITS PHOTOS

Anthony Jourdain, Catherine Côté, Fred Jourdain, Martin Poulin, Martin Côté

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Ó Affranchi - Le contenu de cette publication ne peut être reproduit sans le consentement de l'auteur

En feuilletant les pages illustrées par Fred dans Je Me Souviendrai, une chose saute aux yeux: les images sont franches, percutantes. Si le ton est plus engagé qu'à l'habitude, il y a aussi une continuité avec ses autres projets. Les personnages incarnent ici de grandes idées et comme c'est souvent le cas dans les histoires qu'il raconte, ils se mesurent à un monde qui les fera vraisemblablement grandir. La différence ici, c'est la violence de la rencontre. L'environnement dans ces illustrations n'est pas un autre protagoniste, mais bien une force négative qui veille activement au malheur des personnages mis en scènes.

 

Je me souviendrai, c'est un projet sur le Printemps érable, comment as-tu vécu cette période à l'époque ?

 

Effectivement, c'est un collectif lancé dans la foulée des manifestations étudiantes de 2012 par André Kadi.

 

Ça bardait déjà pas mal à Montréal lorsque ça a commencé à s'enflammer aussi à Québec, devant l'Assemblée nationale, après que des négociations aient été rompues entre le gouvernement et les principaux leaders étudiants.

Au même moment, André a pris l'initiative de monter dans l'urgence un collectif dans le but de faire publier ce qui allait devenir Je me souviendrai, sorte de document éclectique sur les événements du Printemps érable vu par une panoplie d'artistes sous forme de textes, d'illustrations, de photographies et de bandes dessinées… André avait déjà fait de la BD avec la Boîte à Bulles en France et ceux-ci souhaitaient faire quelque chose sur le Printemps érable. Il m'a invité à y participer.

 

J'ai hésité un peu au début… J'ai toujours admiré les artistes comme John Lennon et Roger Waters, des gars qui prennent position sur des enjeux sociaux qui leur tiennent à cœur, mais je voulais trouver le bon angle pour aborder ce sujet-là.

 

Quand l'idée de La Vigile m'est venue, je me suis lancé et tout le reste, les illustrations, les affiches et la section roman graphique, tout ça s'est enchaîné comme une traînée de poudre.

Le livre s'est fait en 2 semaines !

 

J'ai illustré une trentaine de pages du recueil, dont vingt-quatre pour soutenir graphiquement N'a plus sommeil qui veut, un texte composé par mon ami Simon Brousseau à qui j'avais demandé d'écrire quelque chose que je pourrais illustrer. Tous les auteurs ont accepté de remettre leurs redevances à Amnistie internationale et à l'ASSÉ (Association pour une solidarité syndicale étudiante).

 

Je trouve ça drôle que le bouquin ait été édité en France et non pas au Québec, comme si de là-bas, c'était évident qu'il fallait laisser une sorte de trace et de témoignage de ce qui se vivait ici.

Comment t'inspirais-tu pour tes illustrations ?

 

Au départ, je me suis inspiré de la Statue de la Liberté. C'est un symbole fort que j'ai toujours apprécié depuis que je suis enfant. Je me suis retrouvé au pied de cette statue à l'âge de 14 ans et c'est une des plus belles choses que j'ai vues de ma vie.

 

Au fil des croquis, ça m'a amené vers cette idée de la jeune femme, la vigile qui veille au-dessus de la mêlée sur les épaules de la Justice, l'image allégorique de la force morale qui sous-tend le système légal avec son glaive, sa balance et ses yeux bandés qui symbolisent l'impartialité.

 

Certaines de mes illustrations, comme l'emmerdeuse et l'affiche avec le slogan « Médias achetés, Médias à jeter ! » découlent directement de mes recherches sur Mai 68. J'y vois d'ailleurs un gros parallèle avec le Printemps érable.

D'autres événements sociaux ou politiques t'ont touché de la sorte ?

 

À 17 ans, j'étais au Sommet des Amériques. C'est brutal de se rendre compte de l'ampleur du dispositif de contrôle mis en place autour des rencontres et discussions de chefs d'État et de grands décideurs.

 

À Québec, les manifestants anti ZLEA qui, pour la plupart, ressemblaient d'avantages à des hippies qu'à des guérilleros, ont souvent été reçus comme des criminels par les forces de l'ordre… Ma première toile à vie a été fortement inspirée par ce que j'ai vu en me rendant là-bas et ça a laissé une marque sur mes créations dans les années qui ont suivi.
 

Ça s'est éclipsé en partie après ça… en tout cas, il y a eu un changement de ton, un shift vers la nuance et une emphase sur l'émancipation plus que sur l'idée de dépeindre les actions violentes. Critiquer pour critiquer, ça finit par être essoufflant. Je préfère essayer de construire, dans le sens de proposer, d'inspirer. C'est ce que j'ai essayé de faire avec ce projet.

Referais-tu un tel projet ?

 

Je pense que je ne pouvais pas passer à côté à ce moment-là. Les protestations contre la guerre au Vietnam, Mai 68 en France et le Printemps érable sont des événements marquants pour une société. Plusieurs personnes étaient cyniques il y a quelques années : « les jeunes ont tous des cellulaires, ils sont individualistes, déconnectés, etc. … » et bien certes, ils ont des cellulaires, mais ils sont conscientisés. Le Printemps érable, ça a donné le goût à l'action politique à plusieurs québécois, surtout les jeunes.

 

On va se rappeler longtemps de cette période et Je me souviendrai est un document d'archives très intéressant en ce sens.

Il y a une phrase que j'aime bien dans le texte de Brousseau, elle m'a fait rire quand je l'ai relu récemment, mais en même temps, c'est très sérieux et ceux qui auront vécu tout ça dans la rue se souviendront du sentiment qui planait à l'époque :

 

« On était dix milles. J'espère juste que demain on sera plus nombreux… Ils peuvent pas tous nous crisser en prison. Ils peuvent quand même pas tous nous tuer tabarnak »

 

Consultez l’intégral de: N’a Plus Sommeil Qui Veut.

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Anthony Jourdain, Catherine Côté, Fred Jourdain, Martin Poulin, Martin Côté

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